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Justiz

Gaston Vogel: LUC – TORQUEMADILLO REVIENT EN FORCE 

Gaston Vogel: LUC – TORQUEMADILLO REVIENT EN FORCE
le quotidien

 

Le Parti Chrétien Social vient de sortir de son chapeau vétuste pour les prochaines élections nationales comme premier, le non moins vétuste Luc, qui a laissé des traces indélébiles quand il était au Pouvoir, voulant introduire dans la Procédure Pénale, le témoignage anonyme.

 

Le moment est donc venu de lui rappeler mes écrits de l’époque, qui avaient quand même contribué à la faillite du projet, si bien que cette procédure ordurière de témoignage anonyme n’a jamais été adoptée.

 

Mais qui sait si le bon Luc ne finira pas par récidiver quand il aura les moyens de le faire ?

Le 27 mars 2023

Hei ënnendrënner de Bréif vum Gaston Vogel aus dem Joer 2003 iwwer den deemoolege Minister Frieden

 

NOTRE TORQUEMADILLO[1]

 

 

Derrière son visage de Père chrétien du désert, il cache l’esprit sournois d’un Inquisiteur.

 

A juger d’après les projets qu’il dépose, il faut convenir que c’est un homme dangereux.

 

Il vient de récidiver et gravement !

 

Le 3 juin 2003, il dépose un projet de loi qui rendrait possible, s’il était voté, le témoignage anonyme en matière répressive. Un truc inqualifiable.

 

Tous les salauds totalitaires du vingtième siècle avaient recours à cet instrument de preuve qui trouve ses nauséeuses origines dans le manuel des inquisiteurs du Saint Office.

 

Qu’il y ait l’un ou l’autre pays pour l’avoir introduit dans le Code de procédure pénale est un fait sans pertinence aucune alors qu’il n’apporte pas la moindre atténuation au caractère scélérat de ce que les auteurs du projet en discussion appellent cyniquement l’innovation majeure. Un concours d’erreurs n’apporte pas pour autant la lumière.

 

Le projet de loi n° 5156 renforçant les droits des victimes d’infractions pénales et améliorant la protection des témoins, déposé le 21 mai 2003, entend introduire dans le Code de Procédure Pénale la possibilité du témoignage anonyme. Les auteurs du projet évoquent dans ce contexte une innovation majeure dans la législation répressive. Ils s’emparent de l’ancienne réserve dite du péril pour asseoir la monstrueuse nouveauté.

Nous lisons dans l’exposé des motifs :

 

“Parmi les innovations majeures du projet, il est envisagé d’introduire au Code d’Instruction Criminelle la possibilité pour un témoin de déposer en conservant un anonymat qui peut être total ou partiel. En Allemagne, cette possibilité existe déjà depuis des années. Dans d’autres pays de tradition juridique voisine du nôtre, on s’est refusé jusqu’à présent d’autoriser un tel procédé qui rappelle peut-être trop les procédés d’inquisition ou de délation sans visage auxquels certains régimes obscurs ont pu avoir recours. Pourtant, si le recours à ce procédé doit certes rester exceptionnel, on peut cependant aujourd’hui considérer qu’il doit faire partie de l’arsenal des mesures auxquels il faut pouvoir recourir pour lutter de manière efficace contre certains types de criminalité organisée particulièrement dangereux, ceci évidemment dans le respect du contradictoire tel qu’il est interprété par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.”

 

Où est-il allé puiser cette horreur ?

Il faut remonter au treizième siècle pour la trouver dans son état le plus virulent.

Ecoutons le grand historien Lea dans son histoire sur l’Inquisition :

“L’infamie suprême de l’Inquisition consistait à refuser aux accusés toute connaissance des noms des témoins qui déposaient contre eux.

Dans les tribunaux ordinaires, même lorsque la procédure était inquisitoriale, les noms des témoins étaient communiqués à l’accusé avec leurs témoignages. On se souvient que lorsque le légat Romano conduisit une enquête à Toulouse en 1229, les accusés le poursuivirent jusqu’à Montpellier en le suppliant de leur faire connaître les noms de ceux qui avaient témoigné contre eux. Le cardinal reconnut leur droit, mais se tira d’affaire en leur montrant seulement la longue liste de tous les témoins qui avaient comparu pendant l’enquête, alléguant comme excuse le danger auquel ces témoins étaient exposés de la part de ceux qu’ils avaient chargé.[2] Il est vrai que ce danger était réel, les inquisiteurs et les chroniqueurs rapportant quelques cas d’assassinat attribués à cette cause; il y en avait eu six à Toulouse entre 1301 et 1310. C’est le contraire qui eût été surprenant et peut-être la crainte de ces sauvages représailles aurait-elle pu servir utilement à réfréner la rage des délations malveillantes. Mais le fait qu’une excuse aussi futile était alléguée systématiquement montre seulement que l’Eglise avouait ses dénis de justice et en avait honte, puisqu’aucune précaution semblable n’était jugée nécessaire dans les autres affaires criminelles.

 

Dès 1244 et 1246, les conciles de Narbonne et de Béziers défendent aux inquisiteurs de désigner les témoins d’une manière quelconque, alléguant comme motif le “désir prudent” du Saint-Siège. Quant Innocent IV et ses successeurs réglèrent la procédure inquisitoriale, la défense de publier les noms de témoins par crainte de les exposer à des sévices fut tantôt exprimée et tantôt omise. Lorsqu’enfin Boniface VIII incorpora dans le droit canonique la règle de taire les noms, il exhorta expressément les évêques et les inquisiteurs à agir à cet égard avec des intentions pures, à ne point taire les noms quand il n’y avait pas de péril à les communiquer et à les révéler si le péril venait à disparaître. En 1299, les Juifs de Rome se plaignirent à Boniface que les inquisiteurs leur dissimulaient les noms des accusateurs et des témoins. C’était un fait reconnu que les inquisiteurs ne tenaient nul compte des exhortations de Boniface, comme les conciles de Narbonne et de Béziers avaient dédaigné les instructions similaires du cardinal d’Albano. Bien que, dans les manuels à l’usage des inquisiteurs, la réserve dite du péril soit généralement mentionnée, les instructions touchant la conduite des procès admettent toujours, comme une chose évidente, que le prisonnier ignore les noms des témoins à charge. Dès l’époque de Gui Foucoix, ce légiste considère la dissimulation du nom des témoins comme une pratique générale; un manuel manuscrit presque contemporain de Gui signale cet usage comme une règle; plus tard, Eymerich et Bernado di Como nous disent l’un et l’autre que les cas où il n’y a pas péril pour les témoins sont rares, que le péril est grand lorsque l’accusé est puissant et riche, mais plus grand encore quand il est pauvre et que ses amis n’ont rien à perdre. Evidemment, Eymerich juge plus convenable de refuser nettement les noms que d’adopter l’expédient de quelques inquisiteurs trop consciencieux auxquels le cardinal Romano servit de modèle. Cet expédient consistait à présenter les noms des témoins inscrits sur une feuille spéciale dans un ordre tel qu’il était impossible d’attribuer tel témoignage à l’un ou à l’autre, ou mêlés à d’autres noms de manière à ce que la défense fût hors d’état de reconnaître ceux des témoins. De temps en temps, on adoptait un système un peu moins déloyal, mais également efficace, consistant à déférer le serment à une partie des témoins en présence de l’accusé et à examiner les autres en son absence. Ainsi, en 1319, lors du procès de Bernard Délicieux, sur quarante-huit témoins dont on rappelle les dépositions, seize seulement prêtèrent serment en sa présence. Lors du procès de Jean Huss, en 1414, il est dit qu’à un certain moment, quinze témoins furent introduits dans sa cellule et y prêtèrent serment devant lui.

 

Le refus de communiquer les noms des témoins n’était qu’un premier pas : on en vint bientôt, du moins dans certains procès, à dissimuler les témoignages. L’accusé était alors jugé sur des pièces qu’il n’avait pas vues, émanant de témoins dont il ignorait l’existence.”

Il a fallu toute une révolution pour balayer cette énormité. Beccaria s’y est attaqué. Le temps des lumières nous a libérés de ce goulag. Aujourd’hui aucun témoignage n’est reçu en violation du principe du contradictoire. Le témoin est entendu en séance publique, en présence de l’accusé qui a le droit de le questionner à sa guise. Et néanmoins, la justice est et restera précaire parce qu’elle repose sur le témoignage.

Le témoignage est en effet un pilier bien fragile de l’édifice judiciaire, dût-il être apparent. Combien plus fragile est-il s’il se dérobe au regard et disparaît dans les ténèbres de l’anonymat? Ce sera très vite un pilier posé dans du sable mouvant.

Le témoignage est une donnée complexe, un produit psychologique jamais à l’abri d’une confabulation Souvent il arrive que des témoins remplissent inconsciemment des lacunes de souvenirs par des représentations subjectives d’apparence plausible. De nombreuses fausses accusations sont échafaudées sur des lacunes de mémoire. A cela s’ajoute les fausses interprétations qui sont des erreurs de compréhension qui déforment les perceptions et les souvenirs inconsciemment et graduellement sous l’action d’une idée fixe, d’une passion dominatrice, d’une émotion.

La plupart des témoins sont influençables. Combien de fois n’arrive-t-il pas qu’ils se laissent exhorter par les enquêteurs de déposer dans un sens plutôt que dans un autre ? Impressionné et intimidé par l’appareil où il est invité à déposer, que ce soit le prétoire ou un bureau de police, le témoin a une tendance à faire vite pour que l’épreuve cesse et ainsi au lieu de répondre à des questions, il se laisse prendre au piège de réponses qui lui sont posées. Tout praticien du droit connaît cette néfaste et irresponsable hatitude de certains policiers, voire de magistrats, de poser des réponses plutôt que des questions.

Que devient dans un tel univers le témoin anonyme ? Il sera une proie facile pour l’accusation et surtout pour les enquêteurs qui ne sont pas toujours friands de vérité. Ils savent poser les vraies réponses. Le serment qu’ils ont pu prêter avant de prendre leurs fonctions ne les libère pas nécessairement de certains instincts et ne les mettent surtout pas au-delà du bien et du mal. Ils restent humains avec tous leurs défauts. D’où nécessité de les contrôler avec un maximum de sens critique. Personne ne saura vérifier ce que le témoin anonyme a dit ou voulu dire en définitive, ce qu’on lui fait dire et ce qu’on lui a fait dire – personne en dehors de quelques privilégiés de l’appareil judiciaire n’aura l’occasion de le voir – de le contredire – de le voir réagir, de le voir rougir quand il ment. Le premier qui est privé de sa présence à la barre est l’accusé, le principal intéressé qui risque de perdre sa renommée par un jugement de condamnation qui n’aurait jamais dû intervenir. Jamais il ne connaîtra jusqu’au nom de son délateur.

Il n’est pas concevable qu’un pays qui se dit civilisé puisse retomber dans la barbarie de la procédure, une barbarie qui a été de tous temps une invention d’esprits totalitaires.

Tout homme sensé, tout homme vraiment intéressé au respect des droits de l’homme doit lever sa voix et protester avec énergie contre le projet scélérat qui vient d’être déposé au bureau de la chambre des députés, un projet qui sonne le glas de plusieurs siècles de lumières.

 

Gaston VOGEL

 

[1] Torquemada – dominicain espagnol, prieur du couvent de Santa Cruz à Ségovie, inquisiteur général pour l’Espagne en 1483. Il est l’auteur d’Instructions publiées de 1484 à 1498 et réglementant la procédure

[2] même motivation dans le projet Frieden : il s’agit de protéger les témoins

 

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