C’était un des très grands.
C’est à l’occasion de son décès que j’entends analyser les rapports que l’Eglise a entretenus avec la mode.
L’Eglise et la mode
Les créateurs de mode en revalorisant le corps, en rendant au physique sa grâce et sa dignité et à la volupté sa légitimité, ont, en toute innocence, porté un coup autrement mortel à la religion que n’importe quelle idéologie, aussi virulente fût-elle.
C’est en tonifiant l’épiderme qu’ils ont, bien malgré eux parfois, neutralisé la tyrannie des hypocrites de l’au-delà. On devrait écrire tout un livre sur la passionnante relation qu’il y a entre la mode et la religion. Dans son discours du 7 janvier 2002, Yves Saint-Laurent dit qu’il a participé à sa manière au grand mouvement de libération des femmes.
L’Eglise a senti très tôt la menace. Aussi n’a-t-elle jamais manqué de s’en occuper ainsi que le prouvent les exemples qui suivent.
Une des préoccupations majeures de l’Eglise catholique du XVIIe siècle fut la mode des grands décolletés. La scène du décolleté de Dorine, dans le Tartuffe de Molière fait écho à cette campagne écervelée contre le décolletage. Innombrables furent les écrits qui étaient consacrés à ce grave problème.
Le Monarque ou les devoirs du souverain (1661) par le Père Jean François Senault. On interdit la danse à Louis XIV… « car les hommes s’y mêlent trop librement avec les femmes ; les violons y inspirent je ne sais quel air d’impureté, et le luxe y éclate avec excès sur les habits ; la modestie et la pudeur, qui sont les gardes de la chasteté, en sont bannies ; les hommes y portent des yeux impudiques ; les femmes y montrent leur gorge ; et les uns et les autres se provoquent malheureusement au péché. ».[1]
Discours particulier contre les filles et les femmes mondaines découvrant leur sein et portant des moustaches. – par le prêtre parisien Pierre JUVERNAY (1637) :
« Or maintenant, femmes – devez-vous avoir grand soin… d’avoir toujours votre sein, votre col et vos bras cachés et couverts…combien sont effrontées les femmes qui…induisent et excitent à pécher…en montrant leur col et leurs seins nus, avec une grande partie de leur dos et de leurs bras découverts ? Et certes : d’où pensons-nous que sont causées toutes ces guerres, pertes et famines qu’on voit souvent en France, sinon des péchés qui y règnent, lesquels ordinairement prennent leur naissance de cette maudite nudité du sein féminin. ».[2]
« Quant à l’image du Saint-Esprit qu’elles portent pendue à leur col…elles feraient beaucoup mieux (ce me semble) de porter à leur col l’image d’un crapaud, ou d’un corbeau, attendu que ces animaux se plaisent parmi les ordures. ».[3]
De l’abus des nudités de gorge (Bruxelles, Foppens, p. 1675) est un bien amusant ouvrage classé par les bibliothèques sous le nom de l’abbé Jacques Boileau. La première partie du livre intitulé : « Que les nudités de la gorge et des épaules sont blâmables et nuisibles » comporte 44 chapitres, la seconde partie « des vaines excuses des femmes qui ont la gorge et les épaules nues » en compte 70! C’est dire l’importance que revêt la question.
« La vue d’un beau sein n’est pas moins dangereuse pour nous que celle d’un basilic, et c’est alors que nous pouvons dire avec l’Ecriture, que le Démon se sert des fenêtres de notre corps pour faire entrer la mort avec le péché dans notre âme. ».[4]
« O femmes du siècle, qui découvrez si librement et si hardiment votre sein !…Vous voulez faire paraître vos charmes et par la nudité de vos bras, de votre gorge et de vos épaules…après cela, que peut-on alléguer pour la justification de ces filles et de ces femmes qui affectent d’avoir la gorge nue. ».[5]
C’est grâce à l’austère mode espagnole que la Réforme va imposer son idéal féminin : une femme déféminisée, au corps dissimulé sous une robe plus longue que les jambes avec des chaussures à hautes semelles, suffisamment inconfortables pour l’empêcher de danser. Dès l’adolescence, on prendra soin d’aplatir sa poitrine au moyen de petites plaques de plomb tenues sous un bandage serré. Ainsi, empêcher que les pucelles avaient les seins trop gros deviendra vite une des premières prérogatives des manuels d’instruction familiale, très en vogue chez les paysans allemands (F. PAJAK – Nietzsche et son père, p.78).
Il n’y a pas une autre religion au monde où on puisse trouver une telle accumulation de stupidités nourries par un perpétuel, pathologique désir qui n’ose s’affirmer.
Le 19 janvier 2019.
Gaston VOGEL
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[1] ibid. p. 234
[2] ibidem page 17 de l’édition de Genève
[3] ibidem p. 40
[4] ibidem p. 25-édition 1858
[5] ibidem p. 89