Quand la télévision se fait comme d’habitude ennuyeuse, lassante, ne fût-ce que par le fait d’abreuver le spectateur dans une pause récurrente, c’est-à-dire chaque quart d’heure, d’une avalanche de pubs revenant en boucle du matin au soir (Carglass – Vendez votre voiture – et autres superconneries), on se hâte de presser le bouton de la chaîne dite Ushuaïa.
Là on respire, on est délivré des avachissements entretenus par la télé ordinaire…
Ce qui est stupide, révoltant, de mauvais goût, là, se fait intelligent, rassurant ici.
Pas de Zemmour avec son doigt d’honneur, qui depuis des mois, est l’enfant chéri des kitscheurs de plusieurs chaînes françaises… mais un nommé Hulot qui par ses exploits époustouflants force notre admiration.
Il nous fait découvrir le beau et le subjuguant là où personne ne s’aventure et on sort plus cultivé, mieux informé de ces univers uniques et pleins de mystères et de magie – véritable remède contre l’abrutissement.
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Or voilà qu’en moins de 72 heures, il devient un intouchable.
Il est mis « abseits », en marge de la société.
On le voit crucifié au pilori de la planète entière comme « violeur ».
Ont défilé devant les petites lucarnes, où on est si fervent de scoops, d’indélicatesses, d’indiscrétions, de scandales, quelques femmes affirmant n’avoir pu échapper aux agressions sexuelles de Hulot.
Les récits sont courts, les circonstances qui auraient pu générer le fait restent inconnues…
Ces femmes connaissaient Hulot, étaient fières d’être en sa compagnie, l’adoraient probablement in petto – qui sait la moindre bribe à ce sujet ?
Faut-il tout accepter ? Donner libre cours à des accusations gravissimes sans recul, sans aucun contrôle si faible fût-il ?
Constatons d’abord qu’elles ont mis un temps considérable pour se souvenir négativement.
Qui les a sollicitées ?
Certains prétendus faits racontés en quelques mots, qui auraient pu avoir, le cas échéant, une incidence pénale sont, faute de procédure déclenchée à temps, prescrits.
C’est-à-dire définitivement morts pour le Code Pénal.
Ils ne sauraient être ni instruits, ni sanctionnés en justice.
Ainsi Hulot n’aura pas droit à un procès en règle avec à la clef, le cas échéant, un acquittement et donc une réhabilitation.
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Peu importe à la journaille, la condamnation de Hulot vient de tomber en moins de 72 heures sur les plateaux de télévision.
Une curieuse justice, très expéditive, qui ne se soucie ni de loyauté, ni des droits de la défense, ni d’équité, ni de la présomption d’innocence – Pour la journaille c’est la présomption de culpabilité qui compte.
Ainsi les principes les plus élémentaires ont été bafoués au nom du scoop, dont celui du contradictoire qui veut qu’on interroge la partie concernée – Audiatur et altera pars.
Rien !
Les propos relatés par les dames ont aussitôt été acceptés comme traduisant la vérité.
Pas la moindre place pour le plus petit doute et pour un minimum de présomption d’innocence.
Rien!
La grande distanciation ne s’est pas fait attendre.
Hulot n’a pu échapper au lynchage de la journaille.
Il est abandonné par sa famille politique.
Lui, présumé innocent, est anéanti du jour au lendemain – lui – sa femme – ses enfants.
Imaginez un instant ce que les enfants doivent entendre à l’école méchamment questionnés par les copains qui en font un objet de risée.
Ainsi toute la famille passe sous les fourches caudines.
Y’a-t-il quelque chose de plus sale, de plus dégueulasse, de plus répugnant que ces attaques par la journaille qui s’agite aux petites lucarnes en moralisatrice, heureuse d’avoir un scoop pour amuser la galerie et faisant fi de tous les principes les plus élémentaires qui font la dignité humaine ?
Henri Jeanson du Canard enchaîné avait raison de « vomir les moralisateurs » – ce sont toujours eux qui dressent bûchers, potences et guillotines.
Je restais ma vie durant un farouche adversaire de tels « shows » qui me rappellent les temps sinistres où la guillotine tranchait une tête sous le regard railleur d’une foule de salauds venus déguster ce moment d’une absolue cruauté.
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Maintenant que la prescription semble acquise, on se met à la pêche.
On sollicite des délations.
Il doit se trouver quelque part, l’une ou l’autre femme qui ne s’est pas encore manifestée.
Peut-être aura-t-elle à ajouter un je ne sais quoi de grave non prescrit parce que de date plus récente.
Cette entreprise de fouilleurs de poubelles est carrément répugnante, délétère, typique des Etats totalitaires.
Je suis surpris de constater que Dupond-Moretti, Ministre de la Justice et ancien avocat pénaliste y participe.
N’a-t-il pas invité le Parquet à se mettre à la tâche ?
Je ne serais pas étonné s’il se trouvait soudain un député qui, moralisateur et soucieux de sa réélection, ne reculerait pas devant l’abomination de déposer sur le bureau de l’Assemblée Nationale, un projet de loi allongeant rétroactivement le délai de prescription en choses pénales.
Pour un juriste, un acte de pure barbarie.
« Il faut convenir que, pour être heureux en vivant dans le monde, il y a des côtés de son âme qu’il faut entièrement paralyser (Chamfort). »
Le 29 novembre 2021
Gaston VOGEL