L’EUROPE
26 mai 2019
Les élections pour le renouvellement du Parlement Européen auront lieu le 26 mai 2019.
C’est le moment de s’interroger sur les essentiels qui ont fait cette nouvelle Europe, appelée Union Européenne, issue de nombreuses prouesses diplomatiques aussi fastidieuses et complexes que compliquées.
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Jean QUATREMER, dans l’Almanach de Libération, voit l’Europe « comme un continent uni sous la bannière étoilée de l’Union Européenne, un espace sans frontière physique, une monnaie unique, une puissance économique, commerciale et financière, un espace judiciaire commun ».
« L’Union Européenne », dit-il, « sont les Etats Unis, certes sans la puissance diplomatique et militaire, mais avec un modèle social sans équivalent dans le monde ».
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La Constitution de l’Union Européenne est un exploit d’autant plus étonnant que, pour la réaliser, il fallait unir des pays anciens qui avaient leur histoire, leur langue, leurs mœurs, leur économie, leur monnaie, leur religion, leurs hargnes, rognes et haines, dont certains dans un passé récent et lointain s’étaient à de nombreuses reprises livrés des guerres meurtrières.
Il fallait surmonter tout cela, ce qui fait l’énorme différence avec les USA qui, issus du néant, se sont constitués sur les ruines des peuples autochtones décimés et à tout jamais ruinés.
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Il est incontestable que ce qui était au début du vingtième siècle encore absolument inimaginable est devenu réalité au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
Il avait fallu des bains de sang pour y aboutir.
Naît alors une Europe, nouvelle, unie, sortie exsangue de deux guerres mondiales ayant causé la mort de millions et millions d’hommes, de femmes et d’enfants, prête à passer l’éponge, à se réconcilier et à construire ensemble un édifice de paix et de concorde.
Ce fut un premier prodige.
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Un second prodige fut l’instauration d’une monnaie unique.
C’était le mérite de quelques politiciens charismatiques, habités d’une grande puissance intellectuelle et d’un extraordinaire courage.
MITTERRAND et KOHL, représentants de deux nations qui s’étaient, en moins d’un siècle, affrontées à trois reprises dans des conflits meurtriers, avaient compris qu’isolés, leurs pays ne sont rien.
En 1988, ils lancent avec Jacques DELORS le processus qui va mener à l’Euro.
La monnaie unique arrivera à temps le 1er janvier 1999 malgré les crises monétaires et économiques.
On ne peut que rester bouche bée si on mesure l’impact de cette innovation.
Une monnaie unique va balayer d’un coup toutes sortes de monnaies nationales qui faisaient la fierté des pays où elles régnaient en maîtres absolus – le franc français, le deutsche Mark, le franc belge, le Gulden et j’en passe.
Au début, cela semblait franchement dadaïsque.
Du surréalisme politique.
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Il en fut de même du troisième prodige, à savoir la création de l’espace Schengen qui fut mis en place en trois étapes : le 14 juin 1985, le 19 juin 1990 pour devenir définitif le 26 mars 1995.
Les contrôles aux frontières cédaient la place à une circulation libre sans aucune entrave.
Là encore on ne peut qu’avoir le vertige devant une telle innovation, toute lumineuse et heureuse, qui, bien que contestée ci-et-là par des partis souverainistes, ne peut pas ne pas être considérée comme un miracle.
Le grave problème de l’immigration qui a envahi l’Europe à peine unie rend Schengen de plus en plus vulnérable.
Les voix de contestation montent de toutes parts et d’aucuns partis mal intentionnés postulent le retour aux frontières, c’est-à-dire à la présence de la douane et de la police, c’est-à-dire aux anciennes contraintes qui causaient tant de désagréments.
La libre circulation des personnes sans contrôle aucun soulève des problèmes de sécurité.
Combien de bandes criminelles ont pu et pourront s’introduire ainsi sur le territoire sans que leur identité n’ait pu être vérifiée ?
C’est certes un aspect non négligeable, mais néanmoins mineur si on le met en balance avec les énormes avantages que Schengen offre aux citoyens de l’Union Européenne.
Et pourtant, il faut y réfléchir.
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D’aucuns évoquent un quatrième prodige en soulignant la longue période de paix qui règne depuis soixante-dix ans sur le continent européen.
Certes, il n’y a pas eu de conflit armé entre pays formant l’Union Européenne, mais ce fait heureux est-il vraiment le résultat de la nouvelle donne européenne ou simplement celui d’un concours de circonstances excluant toute velléité d’un conflit armé ?
Il ne suffit pas de constater un fait, encore faut-il s’interroger sur sa causalité.
Peut-on citer un seul exemple où deux membres de l’Union Européenne eussent été sur le point de déclencher les hostilités, mais en auraient été empêchés ultima hora par la nouvelle structure mise en place ?
Non !
La paix ne régnait au demeurant pas sur tout le continent.
Il y avait le conflit en Serbie, le bombardement de Belgrade, la création d’un Etat sui generis, le Kosovo arraché au cœur de la Serbie.
Les conflits étaient très nombreux ailleurs et l’Union Européenne jouait souvent le rôle sournois d’un complice de l’OTAN – Irak – Lybie – Afghanistan – Syrie …
Faut-il rappeler qu’elle ne mouftait pas quand cet ignoble BUSH attaquait l’Irak sur base d’un tissu de mensonges, causant des centaines de milliers de victimes ?
Donc abordons le quatrième prodige avec modestie.
Et pourtant, tout compte fait et sous les réserves énoncées, on pourrait dire que l’Union Européenne rappelle l’ancienne paix romaine que Pline l’Ancien se plaisait à définir comme immensa maiestas pacis romanae.
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L’Europe reste menacée en permanence par l’instinct nationaliste qui a repris le dessus ces derniers temps.
Les élections qui auront lieu sous peu verront à l’œuvre des forces inquiétantes qui pourraient fragiliser sérieusement les bases d’une Europe qui s’est constituée en Union en dépit de tout ce qui divisait profondément les pays qui la composent.
Partout, on voit les partis souverainistes proches de l’idéologie fasciste travailler à la mise en pièces d’un puzzle construit à grands frais et peines.
Ils agitent le spectre de l’immigration, sachant que la plupart des citoyens européens accueillent à bras fermés ces vagues de gens qui envahissent l’Europe venant d’Afrique et d’ailleurs.
Ils font aussi appel aux plus bas, aux plus vils instincts de l’homme, qui, en ce domaine très délicat et hautement explosif, ne brille pas par humanisme.
Il reste profondément ancré dans ce qu’il est réellement : un singe mu par le désir de protéger son espace contre tout intrus.
C’est très zoologique et cela se guérit mal.
La pédagogie n’y a pas prise.
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Le grand défaut de Bruxelles est de ne pas avoir réussi à rendre l’Europe sympathique.
On le constate aisément au peu d’empressement que mettent les citoyens à se rendre aux urnes.
La participation est généralement faible, bien trop faible : autour de 55% en France.
A cela s’ajoute qu’on ne sait jamais si les voix émises le sont dans l’intérêt de l’Europe ou pour donner des leçons à la politicaille nationale.
Les deux sont fortement imbriqués et la lutte politique ne se fait que rarement pour ou contre l’Europe – elle se fait ut singuli pro domo.
On ne peut se défaire de l’impression que souvent une élection européenne ne fait qu’anticiper une élection nationale.
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Voici les points qui rendent l’Europe dans l’état où elle est, des fois déconcertante, et qui suscitent des sentiments de rejet et d’aversion.
On peut ainsi déplorer son manque d’indépendance vis-à-vis du Big Brother d’Outre-Atlantique dont on sait, ô paradoxe, qu’il la déteste et ferait tout pour la détruire – on va y revenir.
On voit cet état d’asservi à la lumière de la récente crise au Venezuela.
A peine GUAIDO s’était-il autoproclamé Président du pays, que l’Union, dans le sillage des USA, s’empressait de le reconnaître comme tel.
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On peut ensuite déplorer que l’Union Européenne fasse régner sur le continent un climat antirusse que nous savons savamment entretenu quotidiennement par le tuteur Yankee.
Ce n’est pas par hasard qu’elle a tout fait pour occuper peu à peu l’ancien glacis soviétique, et cela bien avant la crise de Crimée.
Elle a adopté en son sein les pays de l’Est en partie dans le but de constituer un bouclier contre la Russie.
Ce n’est pas par hasard qu’elle entretient d’excellentes relations avec le régime corrompu d’Ukraine.
Elle ne proteste pas quand les Américains déposent des armes nucléaires dans le cœur de l’Europe.
Elle ne réagit pas quand les Yankees installent en Pologne ou ailleurs des missiles pointés contre la Russie.
Tout cela ne favorise guère un climat de paix et donne au quatrième prodige un halo « laiteux ».
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Cette même Union Européenne est encore peu sympathique par le méchant pli qu’a pris Bruxelles d’inonder les pays de directives et règlements dont certains sont d’une totale absurdité.
Ils ne font qu’alourdir la vie des gens en leur imposant des contraintes dont personne ne veut.
Le Spiegel a employé l’expression : « Regieren nach Gutherrenart ».
Bruxelles est ainsi perçue par le citoyen comme un monstre abstrait fait de fonctionnaires anonymes retranchés dans une tour d’ivoire, loin du peuple, occupés à concocter toutes sortes d’emmerdements.
Là, nous sommes confrontés avec le grave problème d’un lieu de pouvoir dépersonnalisé, désincarné, insaisissable.
Il faut que cela change.
Seul notre sympathique Président a su ajouter à ce tableau atone une note chaleureuse faite d’humanisme et cela même si ses continuelles accolades et distribution de bisous ne manquent pas d’énerver copieusement le spectateur.
Il est le bonus pater familias, toujours bon pour un scoop.
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Reste le gravissime problème des lobbies qui empoisonnent tout cet ingrat fatras de juridismes.
Bruxelles commet l’impair impardonnable de se laisser envahir par les lobbies qui ont poussé le cynisme jusqu’à élire domicile face au Berlaymont.
Les récentes décisions en matière de glyphosate n’en sont qu’une douloureuse illustration.
C’est soit de l’incompétence, soit de la malhonnêteté intellectuelle.
Aucun respect pour l’élémentaire principe de précaution.
Le rapport d’évaluation du glyphosate, socle de la décision européenne prise fin 2017 de réautoriser le célèbre herbicide pour cinq ans, est un vaste plagiat.
Quelques 50% des centaines de pages évaluant ces études indépendantes sont des plagiats de l’industrie et à plus de 70% des copier-coller.
Un scandale.
C’est sur la foi de cette évaluation préliminaire que l’AUTORITE Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) et les experts des Etats membres ont conclu que le glyphosate ne posait pas de danger cancérigène.
Si la ESFA se permet de telles libertés avec un produit reconnu depuis comme responsable de décès, de maladies incurables, de malformations de fœtus, etc., il faut se demander quelle confiance on pourrait encore faire à une telle Autorité qui se fout manifestement de notre santé, toujours mue par le désir inavoué et inavouable de privilégier l’intérêt industriel.
La santé du citoyen est of the smaller consequence.
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Les partis politiques en lice pour les élections du 26 mai 2019 ne soulèvent aucune de ces questions.
C’est toujours la même rengaine ennuyeuse et fatigante.
L’immigration, le populisme, la nécessité de rester unis et solidaires – toute une panoplie de banalités dont on gave l’électeur potentiel.
Tout cela n’est guère satisfaisant.
Cela manque de critique en profondeur et inciterait à émettre un vote blanc.
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Et néanmoins, nonobstant toutes ces problématiques, nonobstant tout ce questionnement plutôt négatif, il est utile d’aller voter et d’élire ceux-là mêmes qui prônent le maintien de l’Union en combattant les velléités de retour à la plénitude des souverainetés nationales.
N’oublions pas que des émissaires yankees sont à l’œuvre pour créer le chaos au sein de l’Union Européenne.
Déjà en 2003, plusieurs stratèges du « Think Tanks » néoconservateurs étaient alors à l’ouvrage et échafaudaient des scenarios destructeurs d’une Europe politique et militaire indépendante, en prônant notamment la création d’une vaste zone de libre-échange ouverte à ceux qui feraient défection à l’Union Européenne (sic Jacques AMALRIC).
Un proche de TRUMP, un nommé BRENNAN, semble avoir été délégué avec la mission de semer la zizanie en Europe.
Il a trouvé au sein de l’Union Européenne quelques alliés fidèles prêts à exaucer ses vœux.
N’a-t-il pas eu des rencontres amicales avec des figures de proue du néofascisme européen ?
On ne va pas leur faire le plaisir de participer à la mise en bière d’une Union qui, bien qu’affectée de plusieurs vices rédhibitoires, doit être maintenue en vie, dans l’intérêt de nous tous.
Gaston VOGEL